Que nous apprend l’étude des climats du passé ?

Depuis les années 1990, l’étude des climats passés a permis de caractériser précisément l’évolution du climat à des échelles de temps allant de l’année au siècle, que ce soit pour la période historique récente ou pour les instabilités rapides du climat glaciaire.

Les instabilités rapides du climat glaciaire

Des analyses détaillées d’enregistrements du climat de la dernière glaciation (entre 115 000 ans et 11 700 ans avant notre ère) ont révélé l’occurrence d’instabilités rapides du climat se produisant en quelques dizaines d’années. Ces événements abrupts, appelés dans les glaces du Groenland « événements de Dansgaard-Oeschger

Du nom des glaciologues danois (Willi Dansgaard) et suisse (Hans Oeschger) qui ont découvert ces événements abrupts au Groenland.

», sont marqués par une phase froide, suivie d’un réchauffement abrupt pouvant atteindre, au Groenland, de 8 °C à 16 °C en quelques décennies ou en quelques siècles, puis d’un retour plus graduel à une phase froide.

Ces instabilités ont des répercussions globales. Ainsi les épisodes chauds sont-ils associés à un déplacement vers le nord des forêts en Europe ou bien à des moussons plus intenses en Asie du Sud-Est. Cependant, ces événements rapides ne sont pas synchrones sur toute la Terre. On observe une bascule entre hémisphère nord et hémisphère sud. Pendant les phases froides au Groenland, l’Antarctique se réchauffe lentement, de 1 °C à 3 °C, puis se refroidit lentement au cours des épisodes chauds au Groenland. Cette bascule bipolaire témoigne d’une réorganisation du transport de chaleur par la circulation océanique.

En effet, l’analyse des sédiments marins dans l’Atlantique nord démontre des changements majeurs de courants marins liés à des changements de densité de l’eau de mer, eux-mêmes engendrés par des apports d’eau douce en provenance des calottes nord-américaine et européenne. La dernière instabilité rapide de ce type s’est produite il y a environ 8 200 ans, au début de la période chaude actuelle. La vidange brutale d’un grand lac, formé par la fonte de la calotte nord-américaine, a provoqué un changement des courants marins de l’Atlantique nord et un refroidissement de quelques degrés autour de l’Atlantique nord pendant deux siècles.

Ces instabilités rapides du climat constituent une caractéristique commune à toutes les périodes glaciaires du dernier million d’années. Elles participent étroitement aux entrées en glaciation et aux déglaciations. En effet, le démarrage de la dernière déglaciation (il y a 19 000 ans) ressemble beaucoup aux événements rapides glaciaires. Les données paléoclimatiques montrent une lente montée du niveau des mers en réponse aux changements d’orbite terrestre. Ce phénomène s’accompagne d’un réchauffement en Antarctique puis d’une augmentation de la teneur en dioxyde de carbone. En revanche, le Groenland reste froid en raison des changements de courants marins liés à la fonte des calottes de l’hémisphère nord. Lorsque la circulation océanique transporte à nouveau, brutalement, de la chaleur vers l’hémisphère nord, cela se traduit par un réchauffement abrupt au Groenland ou en Europe mais par une pause du réchauffement en Antarctique. Ces événements commencent à être simulés à l’aide de modèles de climat auxquels on impose un flux d’eau douce dans l’Atlantique nord.

Reconstruire les variations du climat du dernier millénaire

Sans commune mesure avec l’ampleur des instabilités glaciaires, les petites variations du climat au cours des derniers millénaires sont examinées avec beaucoup d’attention. Certaines archives du climat donnent accès à des informations datées à la saison près. Tel est le cas des cernes annuels de croissance des arbres ou des stries de croissance des coraux. Des méthodes statistiques ont été développées pour combiner différentes sources d’information et pour estimer la variabilité, année par année, de la température moyenne (annuelle ou pour des saisons spécifiques) à l’échelle de grandes régions (comme l’Europe), d’un hémisphère ou du globe. Ces reconstructions suggèrent des fluctuations modestes de la température moyenne à la surface de la Terre (moins de 1 °C) et permettent de caractériser la structure spatiale de ces changements. Par exemple, l’« anomalie médiévale

Cet épisode porte également le nom d’« Optimum médiéval ».

» (épisode chaud entre les années 950 et 1200) et le « Petit Âge de glace » (épisode froid entre les années 1300 et 1850) ont particulièrement été marqués aux moyennes et hautes latitudes nord.

Reconstructions des variations de température dans l’hémisphère nord au cours des derniers 1 300 ans

Source : GIEC

Comparaison de différentes estimations de la température moyenne à la surface de l’hémisphère nord au cours des derniers 1 300 ans. Chaque courbe de couleur correspond à une estimation utilisant des méthodes statistiques et des jeux de données différents (informations historiques, mesures issues de cernes d’arbres, de coraux, de glaces, de sédiments marins, etc.). La courbe noire correspond aux mesures météorologiques (HadCRUT2v). La courbe grise, qui ne montre qu’une lente tendance sans fluctuations, provient de la synthèse de données de température mesurées dans des trous de forage sur les continents. En effet, les fluctuations thermiques à la surface des continents entraînent une diffusion de la chaleur dans les sols, en profondeur. L’inversion de ces profils verticaux de température (après prise en compte du flux de chaleur géothermique) permet d’estimer l’ordre de grandeur des changements passés de température.
Toutes les séries sont lissées pour éliminer les fluctuations de moins de 30 ans et sont présentées par rapport à la même période de référence (1961-1990). Chaque estimation est associée à une barre d’erreur qui n’est pas représentée ici.

Les enregistrements paléoclimatiques permettent également de caractériser les facteurs externes qui ont pu affecter l’évolution du climat au cours du dernier millénaire :

  • l’activité volcanique, en particulier les éruptions injectant des particules dans la haute atmosphère, qui ont un effet global et dont les retombées peuvent être identifiées dans les glaces polaires du Groenland et de l’Antarctique ;
  • l’activité solaire (grâce aux isotopes cosmogéniques

    Molécules produites par l’activité solaire dans l’atmosphère telles que le carbone 14 et le béryllium 10.

    produits dans la haute atmosphère et enregistrés dans les anneaux de croissance des arbres et les glaces polaires) ;
  • les changements d’usage des sols (déforestation et extension des zones cultivées), estimés à partir de données archéologiques et historiques ;
  • la composition atmosphérique (gaz à effet de serre et aérosols), connue grâce aux analyses de l’air et des aérosols dans les glaces polaires.

Il est alors possible de simuler le climat du dernier millénaire en prescrivant aux modèles de climat les estimations de ces facteurs externes. Comme l’état initial du climat est mal connu (par exemple, la dynamique de l’océan profond il y a 1 000 ans), des ensembles de simulations sont réalisés avec différents états initiaux. Ces simulations permettent de comprendre, sur le plan théorique, la manière dont les différents facteurs externes affectent le climat et de confronter celle-ci aux données disponibles. L’analyse des données et des simulations du dernier millénaire montre l’importance de la variabilité interne du climat, sa réponse aux facteurs naturels (volcanisme, activité solaire, etc.) et le rôle déterminant des émissions de gaz à effet de serre dans le réchauffement des dernières décennies.