Une température globale a-t-elle un sens ? Peut-on la calculer ?

La pertinence de la notion de température moyenne

C’est un fait qu’une grande diversité de climats existe sur Terre. Ainsi, il fait en moyenne -20°C au Groenland, +25°C dans le Sahara et +10°C sous nos latitudes tempérées. Lorsqu’on calcule une moyenne de toutes ces valeurs locales de la température en tous les points du globe, on obtient une valeur globale de 14°C, et il est légitime de s’interroger sur le sens et la pertinence de cette valeur. En effet, contrairement à la température qu’il fait dans la pièce où vous vous trouvez en cet instant qui est définie précisément en terme physique, ce chiffre de température globale ne correspond pas à une réalité immédiate, locale et perceptible dans la mesure où il s’agit d’une moyenne, c’est à dire d’une grandeur statistique et non pas physique, ou autrement dit d’un indice agrégeant beaucoup d’informations différentes. C’est donc, stricto sensu, un abus de langage de parler de température globale de la Terre, car aucun thermomètre ne la mesure. Il faudrait plutôt en toute rigueur parler d’indice de température globale. Néanmoins, malgré ce léger abus de langage, la température globale a clairement un sens et une utilité.

Avant tout, il est important de réaliser qu’en climatologie, l’utilisation de tels indices de moyenne est systématique et universelle. De fait, la notion de climat en un endroit donné du globe est elle-même définie comme la moyenne au cours du temps des nombreuses situations météorologiques parfois très contrastées qui se succèdent en cet endroit. Le climat est donc intrinsèquement une notion statistique et par conséquent, climat et moyenne sont inséparables. En d’autres termes, dire que moyenner des températures n’a pas de sens est la même chose que dire que la notion de climat n’a pas de sens. Or, les notions de moyenne et de climat ont pourtant bien un sens et une utilité qu’il est assez naturel de percevoir intuitivement. D’un point de vue pratique d’abord, lorsqu’on dit par exemple que le climat parisien est plus humide que le climat méditerranéen, tout le monde comprend bien qu’on parle d’une situation moyenne, et bien qu’il puisse occasionnellement faire plus sec à Paris qu’à Marseille, cette moyenne a un sens général facile à connecter à une réalité vécue.

D’un point de vue plus scientifique, les valeurs moyennes peuvent aussi donner lieu à interprétation physique. Ainsi, la température globale de la Terre est la valeur qui permet à la planète d’équilibrer son bilan énergétique. Il existe en effet une loi physique appelée loi de Stefan-Boltzmann qui établit une relation mathématique entre la température et la quantité d’énergie émise par rayonnement. En application de cette loi, on peut ainsi donner à la température globale de 14°C une interprétation en terme de bilan radiatif, et par extension avoir une idée de la modification de cette température (le réchauffement climatique) lorsque le bilan radiatif est perturbé par l’activité humaine (les émissions de gaz à effet de serre). De telles interprétations sont aussi applicables plus généralement aux autres planètes du système solaire, voire à d’autres corps célestes, à des fins de comparaison : les astronomes calculent ainsi couramment des températures globales pour toutes sortes d’objets parfois bien plus gros que la Terre, à partir de leur énergie rayonnée. La température globale moyenne de surface du soleil ainsi obtenue est de 5500°C, celle de Mars de -60°C, et celle de Vénus de +460°C : ces valeurs sont des indices globaux moyennés de température derrière lesquels des variations locales importantes peuvent exister, mais ils nous permettent néanmoins de caractériser le climat qui règne sur ces planètes. Finalement, pour revenir sur Terre, la température globale n’est qu’un indicateur descriptif parmi de nombreux autres qui, pris isolément, est tout à fait insuffisant, mais cela ne l’empêche pas d’avoir un sens et une pertinence.

Le calcul de la température moyenne

Indépendamment de la question du sens et de la pertinence de la température globale, il est aussi légitime de se demander si ce chiffre peut en pratique être calculé avec un niveau de fiabilité correct. La réponse à cette question est positive. Pour autant, cela ne signifie pas que ce calcul soit simple ou facile – techniquement comme conceptuellement – et de fait, lorsqu’on aborde le problème de la détermination de cette valeur on fait face à de multiples difficultés. En effet, les relevés de température qui doivent être agrégés en une moyenne globale proviennent de sources différentes. Sur les continents, il s’agit de données provenant de plusieurs milliers de stations météorologiques opérées par des services météo nationaux. Ces services utilisent souvent des instruments et des procédures de collectes qui différent d’un pays à l’autre et qui ont aussi évolué dans le temps. De même, la densité spatiale des réseaux de stations diffère d’une zone à l’autre et a aussi évolué dans le temps. Parallèlement, des relevés de la température de surface de la mer sont obtenus à partir d’instruments de mesure embarqués sur des bouées, sur des navires scientifiques ou commerciaux, ou depuis les années 1980 sur des satellites météorologiques. Dans ce dernier cas, la température de surface est mesurée indirectement à partir du rayonnement terrestre émis enregistré par les capteurs du satellite, qui peuvent différer d’une génération de satellite à l’autre.

On perçoit donc bien que la principale difficulté de calcul de la température moyenne globale réside dans l’agrégation de données nombreuses, d’origines multiples et changeantes. Pour résoudre cette difficulté, des procédures statistiques parfois complexes sont utilisées. On peut donc aussi s’interroger sur ces procédures : sont-elles fiables ? Peuvent-elles substantiellement affecter l’évaluation faite de la température globale, et donc du réchauffement climatique ? Pour répondre à ces interrogations légitimes, il est important de souligner que ces procédures reposent sur un cadre conceptuel éprouvé, qui a été inventé par des mathématiciens il y a déjà plus d’un siècle précisément dans le but de pouvoir quantifier l’incertitude introduite dans un calcul complexe de ce type réalisé à partir d’observations diverses et entachées d’erreur. Ce cadre conceptuel est celui de la statistique; il repose sur la théorie des probabilités et fait donc partie intégrante des mathématiques – science exacte s’il en est. Il est utilisé dans de très nombreux domaines – notoirement en économie et en agronomie, deux disciplines qui en ont historiquement motivé et favorisé  l’essor – et a donné lieu depuis son introduction à de nombreux développements tant sur le plan théorique qu’applicatif. L’utilisation de ce cadre permet en substance d’obtenir non seulement un chiffre, mais aussi une marge d’erreur – souvent aussi appelée intervalle de confiance – qui donne une indication du niveau de fiabilité du résultat. Pour le calcul de la température globale tout comme pour celui d’autres indices climatiques, des procédures et hypothèses possédant cet ancrage théorique rigoureux, et de plus bien souvent déjà utilisées dans d’autres domaines, ont été adaptées au contexte du climat: on est donc sur le plan méthodologique sur un terrain largement connu, fiable et balisé. En particulier, le problème consistant à agréger un grand nombre de données hétérogènes en une moyenne ou une somme globale a déjà été amplement traité car il est rencontré de façon similaire dans de multiples disciplines. En économie par exemple, le calcul du PIB d’un pays et de sa croissance, indicateurs cumulatifs aisés à comprendre et universellement utilisés, est néanmoins d’une complexité et technicité élevées. Il s’appuie sur ce même cadre statistique, ce qui permet donc d’obtenir une marge d’erreur sur ces grandeurs. Notons d’ailleurs que les marges d’erreur sur le PIB et la croissance sont remarquablement peu communiquées, par comparaison avec de nombreuses sciences – dont celles du climat – où la communication des barres d’erreur est beaucoup plus répandue. En dépit de leur importance en économie, rares sont pourtant ceux qui s’alarment de leur absence dans ce domaine.

Il est intéressant de développer plus loin le parallèle économique en remarquant d’une part qu’il existe bel et bien dans l’exemple ci-dessus deux intervalles de confiance distincts, l’un sur la valeur nominale du PIB et l’autre sur sa variation, c’est à dire sur la croissance, et d’autre part que le premier est beaucoup plus élevé que le second. De fait, les économistes débattent fréquemment de fraction de % de croissance du PIB : comme chacun le sait, la conjecture change en effet radicalement entre une croissance de –0.5% ou une croissance de +0.5%. Et pourtant, la marge d’erreur sur l’estimation du PIB est largement supérieure à une telle fluctuation.  Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer ne serait-ce que le poids de l’économie souterraine (évasion fiscale, travail au noir, activités criminelles) qui par définition n’est pas mesuré directement et est donc fortement incertain, et qui en Europe fluctue entre 10% et 30% du PIB selon le pays. Mais ce paradoxe apparent peut être facilement levé : il suffit pour cela que les erreurs d’estimation sur le PIB de l’année en cours et sur celui de l’année précédente soient fortement corrélées. Lorsque l’on soustrait les estimations des deux PIB successifs pour obtenir l’indice de croissance, les erreurs se compensent alors en grande partie. En d’autres termes, le mode de calcul du PIB peut être entaché de fortes incertitudes, cela n’affecte qu’assez peu la précision sur la croissance dans la mesure où le mode de calcul n’est pas modifié d’une année à l’autre.

Pour finalement revenir au climat, c’est une situation similaire qui prévaut concernant la température moyenne de la Terre : alors même qu’il est difficile d’obtenir une estimation précise de la valeur absolue de la température moyenne pour des raisons comparables (faible couverture de certaines zones comme l’Antarctique), ses variations au cours des dernières décennies peuvent en revanche être estimées avec une bonne précision. Ainsi, la température moyenne absolue sur la période 1961-1990 est estimée à 14°C avec une marge d’erreur de +-0.5°C mais l’estimation de la différence entre la température moyenne en 2010 et cette période de référence s’élève à +0.53°C

La valeur de +0.5°C diffère de celle de +0.9°C qui est donnée ailleurs dans ce site. En effet le chiffre de 0.9°C, bien qu’issu des mêmes observations, mesure le réchauffement sur une période plus longue (1850-2010). On peut donc remarquer au passage que plus de la moitié du réchauffement observé sur la période industrielle a donc eu lieu lors des 25 dernières années.

avec une marge d’erreur de +-0.09°C. La seconde est inférieure d’un facteur cinq à la première, et est donc suffisamment faible pour statuer de façon non équivoque sur le fait que la planète s’est réchauffée sur cette période.

Soulignons enfin que la transparence méthodologique est complète dans toute la chaîne de calcul : le détail des procédures, les études de performance et de validation associées et chaque étape de traitement ont fait l’objet de publications ouvertes dans des revues scientifiques à comité de lecture.

Pour finir et en résumé, le calcul de la température moyenne et de ses variations ainsi que la quantification de l’incertitude associée est donc un problème complexe, mais des procédures statistiques rigoureuses sont disponibles pour le traiter permettant de maîtriser la fiabilité du résultat.