Peut-on avoir confiance dans les résultats de modèles imparfaits ?

Autres réponse de : Hervé Le Treut

Les incertitudes de la modélisation limitent notre capacité de compréhension des climats passés et d’anticipation des climats futurs. Mais la connaissance de ces incertitudes permet de faire progresser cette compréhension et de renforcer la confiance que l’on peut avoir dans certains aspects des projections.

Une des principales sources d’incertitude des modèles climatiques concerne leurs données d’entrée. En effet, les équations résolues numériquement par les modèles font intervenir des paramètres associés à la représentation de processus physiques ou dynamiques (parfois chimiques) de petite échelle, dits sous maille. Ces paramètres ont généralement un sens physique et peuvent être mesurables (pouvoir réfléchissant d’une surface d’un type donné…) ou bien résultent d’un ajustement empirique (coefficients décrivant un processus de mélange…). Dans les deux cas, leurs valeurs sont connues avec plus ou moins de précision. Dans les incertitudes liées aux données d’entrée, il faut aussi prendre en compte les conditions initiales pour les modèles utilisés en mode prédictif.

Une deuxième source d’incertitude résulte de la représentation imparfaite du monde réel à partir d’un ensemble d’équations, du traitement numérique de ces équations et de l’absence de représentation de certains processus potentiellement importants, qu’ils soient connus (dégazage de méthane lié à la fonte du pergélisol par exemple) ou inconnus. Cette deuxième source d’incertitude est donc directement liée à la structure des modèles.

L’impact de ces incertitudes sur les résultats des modèles climatiques peut s’estimer de différentes façons. L’une d’elles consiste à comparer les simulations réalisées selon un protocole commun par un grand nombre de groupes de modélisation. Cette approche est très largement développée au niveau international au travers, par exemple, de projets de comparaisons de modèles (CMIP

CMIP : Couple Model Intercomparison Project : Projet international proposant un protocole commun pour réaliser des simulations climatiques et mettre à disposition les résultats.

) auxquels les équipes françaises ont contribué. Une autre consiste à faire varier, pour un modèle et de manière aléatoire, des paramètres dans des limites fixées le plus souvent par des observations, et à estimer le champ des possibles associés.

Une première base de la confiance des scientifiques dans les projections du climat futur vient de la capacité des modèles à reproduire d’une part les processus fondamentaux de l’atmosphère et de l’océan (interaction des gaz avec le rayonnement, lois de conservation de la masse et de l’énergie…), et d’autre part les variations du climat passé. Une autre source de confiance provient de la compréhension des phénomènes physico-chimiques régissant la variabilité interne  au système climatique et la réponse du climat à différents facteurs qu’ils soient naturels (Soleil, volcans…) ou d’origine humaine (gaz à effet de serre, aérosols…). Cette compréhension s’appuie en particulier sur l’analyse de la robustesse des résultats au travers d’une hiérarchie de modèles de différents niveaux de complexité et en changeant les paramètres d’entrée des modèles. Il importe cependant de noter que le constat de fortes incertitudes sur certains aspects des projections climatiques n’a rien d’incompatible avec une confiance élevée sur d’autres aspects. Le niveau de confiance dans les résultats est ainsi modulé selon les variables (températures plus fiables que les précipitations par exemple), les régions concernées (régions de mousson plus difficiles à simuler…), mais aussi selon les processus physiques (confiance assez faible sur les effets des aérosols ou la représentation des nuages de type cirrus…). L’analyse de la confiance que l’on peut accorder aux résultats de modèles imparfaits est au cœur du travail d’étude des projections climatiques.

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