Comment les scénarios climatiques prennent-ils en compte les options économiques de nos sociétés ?

La réponse de

Auteur Céline Guivarch

Céline Guivarch

Céline GUIVARCH, ingénieure des Ponts, Eaux et Forêts et économiste, est chercheure au CIRED (Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement). Ses recherches portent sur l’économie du changement climatique et de l’énergie. Elle développe et utilise des modèles pour explorer les interactions entre dynamiques économiques, évolutions des systèmes énergétiques et environnement. Elle s’intéresse particulièrement au rôle des incertitudes pour les décisions de politiques climatiques et pour les scénarios socio-économiques pour la recherche sur le changement climatique.

Pour en savoir plus : la page personnelle de Céline Guivarch

Centre national de la recherche scientifique
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
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A quoi servent les scénarios socio-économiques pour la recherche sur le climat ?

L’ampleur du changement climatique auquel nos sociétés devront faire face dépendra des trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre (GES) dans les décennies à venir. Nous savons également que les possibilités d’atténuation du changement climatique (i.e. de réduction des émissions) et leurs coûts dépendront des technologies futures, de l’évolution des modes de vie, etc. De même, nous savons que la vulnérabilité des sociétés au changement climatique et les possibilités d’adaptation dépendront notamment de la structure des économies (une économie reposant sur l’agriculture n’a pas le même type de vulnérabilité qu’une économie orientée vers l’industrie et les services), de l’urbanisation (la vulnérabilité des villes et des zones rurales à des événements de type inondations ou vagues de chaleur ne sont pas les mêmes)…

Mais, que ce soit pour les émissions futures, l’évolution des technologies ou celle de la structure des économies, il est hors de portée de réaliser des prévisions : les incertitudes sont trop grandes, du fait de l’horizon de temps très long et de la complexité des systèmes considérés. Nous avons donc besoin de scénarios pour donner des visions alternatives de mondes futurs plausibles, et évaluer leurs implications.

Les scénarios donnent ainsi des trajectoires quantifiées des évolutions socio-économiques et technologiques pour les décennies à venir, ainsi que les trajectoires d’émissions de GES associées. Ces trajectoires d’émissions sont utilisées en entrée des modèles de climat, qui simulent le changement climatique correspondant. Les trajectoires socio-économiques et technologiques sont utilisées, avec les scénarios de changement climatique, pour les études sur les impacts et l’adaptation au changement climatique d’une part, et pour les études sur l’atténuation d’autre part.

Les scénarios servent donc (i) à coordonner les recherches sur le changement climatique, en assurant la comparabilité des études qui utilisent toutes le même jeu de scénarios, (ii) à explorer les incertitudes, en quantifiant des visions alternatives du monde futur, et (iii) in fine à éclairer les choix politiques en réponse au changement climatique.

Comment les scénarios sont-ils élaborés ?

Toute l’idée est que l’on ne peut pas prédire l’évolution de systèmes techniques et socio-économiques complexes sur des échelles de temps long ; et qu’il n’existe pas une seule trajectoire future d’émissions de GES qu’il s’agirait de prédire (cette trajectoire dépendra d’un certain nombre de choix que nos sociétés feront et d’un certain nombre d’éléments très incertains comme une rupture technologique), ni même un seul monde socio-économique et technique compatible avec une trajectoire d’émission donnée.

Dès lors l’approche pour élaborer des scénarios consiste à « raconter » des histoires alternatives des évolutions plausibles du monde, en rassemblant des experts d’horizons divers (démographes, économistes, sociologues, spécialistes des technologies, etc.). Ces histoires s’ancrent dans la connaissance des évolutions passées, mais cherchent à proposer des visions contrastées des futurs plausibles, par exemple un monde où la globalisation continuerait à s’intensifier versus un monde où une fragmentation régionale s’installerait.

Ces histoires sont traduites en valeurs des paramètres d’entrée (par exemple, la croissance de la population) de modèles, dits d’évaluation intégrée, qui représentent les évolutions conjointes des systèmes techniques, des comportements de consommation et des économies. Ces modèles quantifient ensuite les évolutions correspondant à ces valeurs de paramètres, en particulier les émissions de GES, mais aussi par exemple les consommations de tel ou tel type d’énergie (charbon, produits pétroliers, électricité..) dans tel ou tel secteur (industrie, transport,…) dans telle ou telle région du monde (selon le degré de désagrégation régionale du modèle utilisé).

Un scénario est ainsi la combinaison d’une « histoire », de sa traduction en valeurs des paramètres d’entrée d’un modèle et de la quantification des évolutions correspondantes par ce modèle.

Deux générations de scénarios

Les SRES

Les scénarios SRES (Special Report on Emissions Scenarios, GIEC, 2000) examinaient les effets sur les émissions de GES des incertitudes sur un large éventail de «forces motrices» (démographie, croissance économique, changement technologique…). Ils sont regroupés en quatre grandes familles, résultant de la combinaison de deux jeux d’hypothèses divergentes sur les évolutions socio-économiques futures : d’une part une importance prédominante accordée aux valeurs économiques ou, au contraire, une importance croissante des valeurs environnementales, de l’autre une mondialisation croissante versus une régionalisation croissante.

Les RCP et SSP

Une nouvelle génération de scénarios a été développée pour le 5ème rapport d’évaluation du GIEC. Elle combine des trajectoires d’évolution des concentrations de GES dans l’atmosphère (les RCP, Representative Concentration Pathways), avec des scénarios socio-économiques (les SSP, Shared Socio-economic Pathways) qui explorent les différentes combinaisons d’évolutions économiques, technologiques, démographiques et institutionnelles compatibles avec ces RCP.

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Pour en savoir plus

  • 2°C or not 2°C ? (Global Environmental Change 23, 2013, avec S. Hallegatte)
  • Les véhicules électrifiés réduiront-ils les émissions de carbone ? (Revue de l’Energie 611, 2013, avec A. Vogt-Schilb),
  • Les nouveaux scénarios socio-économiques pour la recherche sur le changement climatique (Revue Pollution Atmosphérique. N° spécial climat - Juin 2013, avec J. Rozenberg).
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