Que nous apprend l’étude des climats du passé ?

Les grands réseaux de mesures métérologiques permettent de connaître l’évolution du climat depuis environ 150 ans, ce qui est relativement bref. De nombreuses méthodes ont été développées par les paléoclimatologues pour estimer l’évolution antérieure du climat. En effet, les variations de multiples paramètres du climat laissent des empreintes dans les milieux naturels. Des méthodes de forage ou de carottage ont été élaborées pour prélever ces archives naturelles du climat, aussi bien sur les continents (dans les glaces polaires, les sédiments lacustres, les sols, les stalagmites et les troncs d’arbres) qu’au fond des océans (dans les sédiments marins ou les coraux). Des méthodes de plus en plus précises ont également été développées pour dater ces archives et en extraire une information climatique précise.
Certaines caractéristiques biologiques, chimiques ou physiques de ces échantillons peuvent être reliées, quantitativement, aux variations de paramètres climatiques comme la température, la quantité de précipitations ou la salinité de l’eau de mer. Ces relations, appelées fonctions de transfert, sont établies à partir des gradients géographiques actuels ou bien par comparaison avec les enregistrements météorologiques ou océanographiques des dernières décennies. Il est alors possible d’estimer les variations passées des paramètres climatiques en supposant que les relations actuelles restent valables pour des climats passés1.

Pour illustrer cette approche, prenons l’exemple de l’utilisation de l’abondance des différentes formes de la molécule d’eau (H216O, HD16O, H218O), appelées « isotopes ». La vapeur d’eau, formée à la surface des océans, est appauvrie en isotopes lourds par rapport à l’eau de mer. Dans les régions tempérées et polaires, le refroidissement des masses d’air entraîne une condensation de la vapeur d’eau et la perte préférentielle des isotopes lourds. Il existe donc une relation étroite entre la température de l’air et le rapport entre les formes légères et lourdes des molécules d’eau présentes dans les précipitations : plus l’air est froid et plus les précipitations sont pauvres en formes lourdes des molécules d’eau. Ce « thermomètre isotopique » permet alors d’estimer les variations passées de température, grâce à la mesure de ces rapports isotopiques soit sur des précipitations anciennes (préservée dans les glaces polaires), soit sur des archives indirectes de ces précipitations (calcite de stalagmites, cellulose de cernes d’arbres, calcite de sédiments de lacs, etc.).

La plupart des enregistrements paléoclimatiques apportent des informations locales, relatives au climat du site de mesure. Différents paramètres mesurés sur une même archive et différentes archives d’une même région sont ensuite combinés dans des bases de données globales, puis des méthodes statistiques sont mises en œuvre pour estimer les variations climatiques de grande échelle.

La paléoclimatologie permet de comprendre les amplitudes, les vitesses et les mécanismes des changements climatiques passés de même que la manière dont le climat réagit à différents types de perturbations. Elle a également révélé la capacité du système climatique a produire des instabilités brutales.

L’évolution du climat à l’échelle géologique

À l’échelle géologique (des dizaines de millions d’années), la composition de l’atmosphère et le climat dépendent de la position des continents, du relief et du volcanisme. Depuis 60 millions d’années, le climat a connu un refroidissement progressif, en parallèle avec une diminution probable de la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère2. Ce refroidissement progressif a permis la mise en place des calottes polaires il y a environ 34 millions d’années pour l’Antarctique et vers 3 millions d’années pour le Groenland. La formation de ces calottes a amplifié le refroidissement car elles réfléchissent davantage le rayonnement solaire que la surface continentale (phénomène mesuré par l’albédo).

Les longs enregistrements issus des sédiments marins ont montré que, depuis 3 millions d’années, la variabilité du climat a augmenté avec l’intensification des cycles glaciaires-interglaciaires, du fait de la construction puis de la disparition de calottes de glace supplémentaires en Amérique du Nord et au nord de l’Eurasie.

Climat à l’échelle glaciaire-interglaciaire

Masson-Delmotte V. et al., 2010 : EPICA Dome C record of glacial and interglacial intensities. Quaternary Science Reviews, v. 29, p. 113-128.

L’axe horizontal représente le temps, en milliers d’années avant l’actuel (1950 A.D.), du passé (à gauche) vers le présent (« 0 »). Les bandes bleues verticales soulignent les périodes glaciaires. Le moteur des changements climatiques est représenté, sur l’axe vertical, à travers l’ensoleillement d’été à 65° N (en watt par mètre carré). Quatre variables décrivent l’évolution du climat, de bas en haut :

  • les variations du niveau des mers (en mètre), déduites de l’analyse des sédiments marins, qui reflètent l’intensité des glaciations ;
  • la température en Antarctique (en degré Celsius), déduite de l’analyse des glaces du forage EPICA Dôme C ;
  • les teneurs de l’atmosphère en méthane (en partie par billion en volume) et en dioxyde de carbone (en partie par million en volume), issues de l’analyse de l’air de la glace des forages de Vostok et Dôme C (Antarctique).

La réponse du climat aux changements d’ensoleillement est amplifiée par les rétroactions liées à l’extension des glaces continentales et par celles liées aux changements du cycle du carbone et de l’effet de serre, associé aux teneurs atmosphériques en dioxyde de carbone et en méthane.

Les cycles glaciaires-interglaciaires ont d’abord été peu intenses mais fréquents, se succédant environ tous les 40 000 ans. Depuis environ un million d’années, les glaciations sont devenues plus intenses et plus longues, leur durée atteignant 100 000 ans. La dernière glaciation a culminé il y a environ 20 000 ans et s’est achevée il y a environ 11 700 ans. Le moteur de ces glaciations est la redistribution de l’ensoleillement, selon les latitudes et les saisons, liée aux variations lentes des

La Terre glaciaire

Joussaume S., Climat d’hier à demain, Paris, CNRS Éditions, 1999, p. 37.

l y a environ 20 000 ans, la dernière glaciation du Quaternaire atteignait son paroxysme. Les calottes glaciaires de la Laurentide et de la Fennoscandie recouvraient le nord de l’Amérique et la Scandinavie, entraînant une forte baisse du niveau des mers (-130 mètres)

Schéma des paramètres de l’orbite terrestre

Rahmstorf S. et H.J. Schellnhuber, 2006 : Der Klimawandel. Beck Verlag, Munich, 144 p.

Ce schéma représente les changements de l’orbite terrestre (cycles de Milankovitch) qui pilotent les cycles des âges glaciaires. L’aplatissement de l’orbite de la Terre est volontairement exagéré. « T » indique les changements de l’inclinaison (ou obliquité) de l’axe de la Terre, « E » les changements de l’excentricité de l’orbite (due aux variations du petit axe de l’ellipse) et « P » indique les changements de précession, c’est-à-dire les changements de la direction de l’axe d’inclinaison à un point donné de l’orbite.

 Les données paléoclimatiques révèlent l’importance des rétroactions

La combinaison d’enregistrements paléoclimatiques, à différentes latitudes et en régions continentales et marines, a montré que, lors du démarrage ou de la fin des glaciations, de nombreuses rétroactions du système climatique amplifient l’effet initial des paramètres orbitaux de la Terre pour provoquer des changements climatiques majeurs en quelques milliers d’années. Ainsi, une diminution de l’ensoleillement d’été, suivie d’un refroidissement estival polaire, entraîne-t-elle une extension des zones couvertes de neige et de banquise, ce qui amplifie ce refroidissement. Ce phénomène s’accompagne d’un assèchement sur les continents et d’une baisse de la production de méthane dans les zones humides, d’où une diminution de l’effet de serre. Les changements de température et de circulation océanique permettent alors de stocker davantage de dioxyde de carbone dans les eaux profondes océaniques et entraînent une diminution de la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ce qui amplifie encore le refroidissement.

La modélisation des climats passés est essentielle pour tester la capacité des modèles à représenter les grands changements climatiques et les rétroactions associées. Elle permet également de mieux comprendre les mécanismes de ces changements passés. En réponse à la présence de calottes de glace et de teneurs plus basses en gaz à effet de serre, déduites des observations, les modèles de climat parviennent à représenter correctement l’amplitude des variations de température glaciaires-interglaciaires (de l’ordre de 5 °C en moyenne globale) et la structure de ces changements, plus prononcés dans les régions polaires que près de l’équateur. Des comparaisons plus fines avec de grandes bases de données du climat glaciaire sont en cours3.

Des projets ont également été lancés pour mieux comprendre les différences entre les périodes interglaciaires (chaudes) passées. Il y a environ 130 000 à 115 000 ans, la dernière période interglaciaire s’est caractérisée par un ensoleillement d’été très fort dans l’hémisphère nord et par des températures plus élevées dans l’Arctique et en Antarctique que pendant la période pré-industrielle (avant 1860), avec localement des amplitudes de 2 °C à 5 °C. Cette période a également été marquée par un niveau moyen des mers plus élevé de plusieurs mètres par rapport au niveau actuel, ce qui témoigne qu’un réchauffement de quelques degrés autour des calottes du Groenland et de l’Antarctique peut entraîner une déglaciation significative en quelques millénaires. Le projet européen PAST4FUTURE va confronter simulations climatiques et reconstructions de la variabilité du climat pendant ces périodes interglaciaires.

L’étude des successions glaciaires-interglaciaires passées permet de caractériser l’ampleur, la vitesse et les mécanismes des changements climatiques passés. Elle repose à la fois sur l’obtention de données quantitatives, datées, et sur leur confrontation aux résultats théoriques, issus de la modélisation du climat. Ces résultats permettent également de placer les changements actuels dans la perspective des changements passés et de tester le réalisme des modèles de climat, seuls outils disponibles pour explorer les risques futurs.