Comment expliquer le ralentissement de la hausse de la température de surface de la Terre observé depuis 1998 ?

La température de surface moyennée sur l’ensemble du globe a augmenté d’environ 0,9 degré Celsius depuis 1850La période située avant 1850 est dite « pré-industrielle ». Elle précède le rejet massif de gaz à effet de serre dans l’atmosphère par l’Homme.. La figure 1 représente la température moyenne de surface de la Terre (en degré Celsius), calculée par rapport à la moyenne des températures entre 1961 et 1990 (période choisie par convention). La moyenne des températures entre 1961 et 1990 correspond au zéro sur l’axe des ordonnées et les températures moyennes annuelles sont exprimées en positif ou en négatif par rapport à cette valeur de référence. La courbe est réalisée à partir des données HadCRUT4 compilées en Grande-Bretagne par l’université d’East Anglia et le Met Office Hadley Centre. (Le Met Office est l’équivalent britannique de Météo-France.) D’autres centres de recherche proposent également des reconstructions de température globale qui montrent les mêmes grandes tendancesDans ce texte, le terme « tendance » est employé dans le sens défini dans le glossaire..

Figure 1 : Température moyenne globale de la Terre (en degré Celsius) et tendance sur 15 ans

Source : D. Swingedouw

Évolution de la température globale d’après les données des observations HadCRUT4. Les différentes couleurs ainsi que les lignes verticales correspondent à différentes quinzaines d’années et à leur tendance linéaire associée.

Sur la figure 1, on constate que la tendance à la hausse de la température globale pour la dernière quinzaine d’années n’est pas aussi forte que celle calculée pour les deux quinzaines d’années précédentes (1968-1997). Sur l’ensemble de la période considérée, il existe de nombreuses périodes de 15 ans où les tendances sont mêmes négatives (1954-1968, par exemple), ce qui correspond à un refroidissement de la température globale. Il faut cependant remonter à la quinzaine 1862-1876 pour trouver une tendance sur 15 ans aussi faible que celle observée depuis 1998.

La variabilité naturelle du climat

On peut essayer d’expliquer la faible tendance des températures de surface lors des quinze dernières années à partir de ce que l’on connaît de la variabilité « naturelle » du climat. Cette variabilité peut être décomposée en deux termes :

  • la variabilité des « forçages » naturels externes tels que l’activité solaire ou les volcans (donc hors émissions de gaz à effet de serre et d’aérosols d’origine anthropique) ;
  • et les interactions entre l’océan, l’atmosphère et la surface terrestre (soit la variabilité « interne » du climat).

Les variations récentes du forçage solaire ont été légèrement négatives ces dernières années, avec un minimum solaire très marqué qui a culminé en 2008. Il y a eu également quelques éruptions volcaniques, de faible intensité, qui ont injecté des aérosols dans la partie haute de l’atmosphère. En réfléchissant les rayons du Soleil, ces aérosols ont induit un effet parasol et ils ont refroidi la surface terrestre. Cependant, la quantification de ces deux forçages naturels montre qu’ils sont très faibles par rapport à l’effet de l’augmentation de gaz à effet de serre dans l’atmosphèreOtto, A., et al., 2013 : Energy budget constraints on climate response. Nature Geoscience, 6, 415-416.. A priori, l’activité solaire et les éruptions volcaniques ne peuvent donc pas expliquer, à eux seuls, le ralentissement observé dans la hausse de la température de surface de la Terre. Il faut plutôt aller chercher l’explication de cette tendance récente dans la variabilité « interne » du climat, c’est-à-dire les interactions, sans forçage externe, entre l’océan, l’atmosphère et les surfaces terrestres.

Le rôle des océans dans le bilan énergétique

Pour essayer d’y voir plus clair dans l’origine spatiale de ce ralentissement, intéressons-nous à la figure 2. Celle-ci illustre la tendance sur quinze ans des températures de surface (données HadCRUT4), représentée point de grille par point de grille (la largeur de chaque point de grille équivaut à plusieurs centaines de kilomètres).

Figure 2 : Cartes de tendance de température (en degré Celsius par siècle) pour les périodes 1998-2012 et 1850-2012

Source : D. Swingedouw

Cartes représentant la tendance linéaire (voir glossaire) calculée pour chaque point de grille, à partir des observations HadCRUT4 : a) pour la période 1998-2012 et b) pour la période 1850-2012. L’échelle est différente pour les deux cartes.

Sur la figure 2a, on constate que la carte de tendance des quinze dernières années n’est pas du tout homogène : certaines régions se sont refroidies (la Chine ou l’ouest du Canada, par exemple) alors que d’autres se sont réchauffées (comme la Sibérie ou l’Argentine). En revanche, si l’on s’intéresse à la tendance des températures calculée sur 150 ans (figure 2b), on peut voir un réchauffement relativement homogène. À cette échelle de temps, la variabilité naturelle du climat est dominée par l’effet de l’augmentation des gaz à effet de serre qui accumule de l’énergie dans les basses couches de l’atmosphère ainsi que dans l’océan et les surfaces terrestres.

Ces quinze dernières années, plus d’énergie est arrivée à la surface de la Terre en raison du déséquilibre radiatif au sommet de l’atmosphère induit par les gaz à effet de serre. Si cette énergie ne se traduit pas par une augmentation des températures en surface, où est-elle passée ? Dans le système climatique, l’« ogre », en termes de capacité de stockage de l’énergie, c’est l’océan. Les premières dizaines de mètres de l’océan (qui en compte plusieurs milliers) peuvent stocker, à elles seules, autant d’énergie thermique que l’ensemble des dizaines de kilomètres d’épaisseur de l’atmosphère. En effet, il est plus facile de chauffer de l’air que de l’eau, comme on peut l’expérimenter en mettant une casserole sur le feu : l’air environnant s’échauffe bien plus rapidement que l’eau dans la casserole.

Il a été montré que le surplus d’énergie au sommet de l’atmosphère a bien été capturé par l’océan mais qu’il a été emmagasiné en profondeur, parfois au delà de 700 mètresBalmaseda M. A., K. E. Trenberth and E Källén, 2013 : Distinctive climate signals in reanalysis of global ocean heat content. Geophysical Research Letters, 40 (9), 1754-1759. ! C’est le système d’observation océanique Argo qui a notamment permis cette découverte. Ce système récent est doté d’une flotte de milliers de mini sous-marins indépendants qui peuvent plonger à des profondeurs de plus de 2000 m.

Pour expliquer le stockage de l’énergie thermique dans les eaux océaniques profondes, sur la période récente, on peut invoquer un changement « naturel » du régime des vents au-dessus de l’océan Pacifique. Les vents « poussent » les eaux chaudes de surface vers le fond et font remonter les eaux profondes (plus froides) vers la surface.

Ce stockage d’énergie peut également être lié à une diminution de la circulation océanique de retournement en Atlantique Nord (la fameuse « circulation thermohaline » qui influe notamment sur l’intensité du Gulf Stream). En ralentissant, la circulation océanique entraîne moins d’eaux froides de la surface vers le fond, ce qui réchauffe les eaux profondes des océans. Ces dernières années, l’élévation constante du niveau marin est le fruit du stockage du surplus énergétique qui provoque une dilatation thermique des océans et la fonte des glaces terrestres.

Un réchauffement modéré de l’océan Pacifique

Si l’on revient à la figure 2, on remarque une certaine modération du réchauffement sur l’océan Pacifique (eaux superficielles et basses couches de l’atmosphère) et sur les surfaces terrestres environnantes. En sachant que cet océan couvre près de la moitié de la surface terrestre, il est évident qu’une diminution du réchauffement de ce « géant » aura beaucoup d’effet sur la moyenne globale de la température de la planète.

Point de départ pour le calcul de notre tendance des températures des derniers 15 ans, l’année 1998 a été marquée par l’un des plus forts événements « El Niño » du xxe siècle. Un événement El Niño se caractérise par un fort réchauffement de l’océan Pacifique Est, qui entraîne notamment une diminution de la présence des poissons sur les côtes péruviennesLe nom d’El Niño a été donné à cet événement par les pécheurs péruviens qui s’en remettaient à l’Enfant Jésus (« El Niño » en espagnol) pour expliquer ces événements de maigre pêche.. Ce type d’événement a un impact à l’échelle de la planète (toujours à cause des « mensurations » impressionnantes de l’océan Pacifique).

Sur la figure 1, on peut observer un pic de réchauffement en 1998, dû à ce fort événement El Niño qui est une oscillation naturelle du climat. En partant de 1998, on part donc d’un extrême chaud, ce qui risque de diminuer, en partie, la tendance à la hausse des températures calculée sur les 15 années suivantes. Depuis 1998, il y a eu peu d’événements El Niño, et tous d’une amplitude modérée, mais de nombreux événements « La Niña » qui est l’équivalent froid d’El Niño. C’est cette tendance naturelle à basse fréquence de l’occurrence des événements El Niño qui explique, en grande partie, le faible réchauffement des eaux superficielles de l’océan Pacifique, observé ces dernières années.

Mieux comprendre la variabilité naturelle est l’un des enjeux de la modélisation du climat. L’activité émergeante de la prévision décennale vise à mieux assimiler les observations de l’océan dans les modèles de climat. L’objectif est de mieux capturer la phase et l’évolution à venir des grands modes de variabilité naturelle climatique que sont, par exemple, la succession des événements El Niño-La Niña et la circulation de retournement en Atlantique Nord. Cette activité de recherche permettra de compléter les projections climatiques qui évaluent l’impact de différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre sur le climat, à l’échelle du prochain siècle. Le rejet de gaz à effet de serre reste le responsable du réchauffement sans précédent qui a eu lieu sur les 150 dernières années.