Comment mettre l’océan dans des petits cubes ?

Un modèle d’océan est une représentation simplifiée des processus physiques et biogéochimiques qui se déroulent en son sein et aux interfaces avec les autres milieux (atmosphère, continents…). Il repose sur des lois physiques mises en équations puis résolues par des programmes informatiques.

Tout comme pour l’atmosphère, on procède en trois étapes pour construire un modèle d’océan. La première, celle de la modélisation physique, consiste à poser les équations qui décrivent l’évolution dans le temps des variables à simuler (température, salinité, courant, concentration en nitrates, carbone…). On utilise les lois physiques très générales de Navier-Stokes qui permettent de décrire les mouvements de la majorité des fluides (comme pour l’atmosphère). Ces équations sont ensuite simplifiées pour tenir compte des propriétés intrinsèques de l’océan associées en particulier à sa forte densité : l’eau de mer est considérée comme quasi-incompressible ; l’océan est traité comme une couche très mince à la surface du globe ; sa densité varie au plus de quelques pour cent sur tout le globe… Des équations  supplémentaires décrivent l’évolution des processus chimiques (dissolution du dioxyde de carbone par exemple) et la biologie marine.

Il faut ensuite discrétiser les équations continues du modèle physique pour obtenir le modèle numérique. Cette étape consiste à découper l’océan selon un maillage en trois dimensions, chaque maille représentant un cube, ou plutôt un parallélogramme, avec un côté de quelques km à plusieurs centaines de km, et une épaisseur allant de 1 à 500 m. Les méthodes mathématiques appliquées permettent alors d’écrire les équations discrètes qui relient entre elles les variables de chaque maille du modèle. Cependant, tel l’atmosphère, l’océan réel n’est pas un empilement de cubes : à l’intérieur de chaque cube du maillage, il existe en réalité des phénomènes que la maille ne « voit » pas (vagues, ondes, mélange turbulent, présence de petites montagnes sous-marines …). La représentation de « phénomènes sous maille » ou paramétrisation est nécessaire pour prendre en compte la variété des processus océaniques ; elle est aujourd’hui la source principale d’incertitudes et d’erreurs dans les modèles d’océan.

La dernière étape est la modélisation informatique, c’est-à-dire la traduction des équations discrètes en code ou langage informatique compréhensible par les ordinateurs. En fait, modèles d’océan et d’atmosphère sont très semblables et diffèrent principalement par la densité des fluides (1 000 fois plus grande dans l’océan que l’atmosphère) et la présence des continents, véritables murs pour les océans.

Partant d’un état initial observé (compilant l’ensemble des systèmes de mesure tels les satellites, les flotteurs ARGO

Le programme ARGO a révolutionné l’observation de l’océan. Depuis les années 2000, l’océan mondial est parsemé de flotteurs, des tubes d’acier d’environ 1,5 m de long, qui dérivent à 1000 m de profondeur pendant 10 jours puis remontent à la surface, à la manière de sous-marins miniatures, pour envoyer par satellite les observations de température et de salinité de l’océan qu’ils ont collectées le long de leur chemin, avant de replonger et recommencer un cycle. Le réseau de 3500 flotteurs, maintenu en partenariat par 30 nations, permet de suivre en temps réel le contenu de chaleur et la salinité de l’océan mondial.

…), le code informatique calcule périodiquement les valeurs des variables à l’intérieur de chaque maille, avec une période ou « pas de temps », de l’ordre de plusieurs minutes. Plus la grille est fine et les équations prises en compte complexes, plus le nombre de calculs à effectuer à chaque pas de temps est élevé. La résolution choisie (la taille de chaque cube, et donc le nombre de cubes nécessaires pour couvrir le globe) est un compromis entre le coût de calcul en termes de nombre d’opérations et la précision recherchée, qui dépend des phénomènes physiques que l’on souhaite étudier. De tels calculs nécessitent l’usage de supercalculateurs. Pour l’étude du climat, le modèle d’océan est couplé à d’autres modèles qui représentent la glace de mer, l’atmosphère, les surfaces continentales, les calottes polaires…

La comparaison des résultats du modèle avec les observations océaniques est la clef d’un processus constant d’amélioration du modèle, pour lequel collaborent physiciens, mathématiciens et informaticiens. En France, le laboratoire du LOCEAN est l’initiateur du développement du modèle européen NEMO. Ce modèle est utilisé pour des études régionales (Méditerranée…) et pour simuler l’océan global et sa variabilité.